Samedi dernier, nous nous sommes réunis salle Camille Pagé, rive gauche, lieu idéal pour terminer le cycle de nos conférences de la saison sur le thème de Châteauneuf ! Et bon nombre de Châtelleraudais, 90 personnes au moins, se sont déplacés pour écouter, participer et parfois compléter avec des souvenirs ou des photographies les récits de nos conférenciers. Trois membres du groupe de recherche du CCHA vont nous promener dans le faubourg populaire de Châteauneuf, si vivant, si particulier et tellement présent aujourd’hui encore.
Geneviève Millet nous fait part de ses recherches sur « Le Grand Monarque ». Elle est intarissable sur le sujet ! Mentionnée déjà en 1737, on écoute avec intérêt l’histoire de cette auberge, relais de poste. Grâce à des tableaux généalogiques simplifiés, on y côtoie au fil des années, les propriétaires : les Rossignol, les Brodon, les Dufour, tous parents et devenus Maîtres de Poste, métier valorisant, par ordonnance du roi Louis XV. Les plans des bâtiments apparaissent également à l’écran ; ils se situent à l’angle de la rue du Pont (Grand’ rue de Châteauneuf) et du quai de la Vienne. Côté rue du Pont, sur trente mètres, les bâtiments de l’auberge entourent une grande cour, tandis que, côté rivière, on trouve les dépendances. Puis se succèdent les écuries, les granges à foin et les greniers à céréales sur une quarantaine de mètres. Plus loin, un grand pré ombragé et son puits, accueille les chevaux fourbus. Au début du XIXe siècle, plus de 55 chevaux « de différents âges et couleurs » sont répertoriés à l’occasion d’un partage familial… On compte aussi de nombreux élevages répartis dans la campagne. Cet acte, fait chez le notaire, permet non seulement d’évaluer les biens de la famille, mais nous donne des détails plus précis au niveau de l’auberge qui comprend des pièces d’accueil, des chambres pour les propriétaires et deux chambres à trois lits pour les voyageurs… Du personnel « d’astreinte », dirions-nous aujourd’hui, loge sur place pour parer aux urgences. Des plans cadastraux, mais aussi des photographies viennent souligner l’importance de cet impressionnant bâtiment que fut le Grand Monarque. Malheureusement, l’arrivée du chemin de fer ravit la vedette aux relais de poste et comme bien d’autres, cette belle entreprise familiale prospère doit arrêter ses activités. Le Grand Monarque devient alors tout simplement un hôtel-auberge. Ce n’est qu’en 1970, après des années d’abandon que les bâtiments restaurés sont transformés en logements individuels.
Nous laissons maintenant les voyages en diligence pour nous poser quelques instants dans le faubourg de Châteauneuf où Alain Houisse s’est intéressé au comportement socio- politique des habitants de ce faubourg entre 1870 et 1914, à partir des diverses élections.
Une étude très intéressante, si l’on considère que le taux de participation des couches populaires aux différentes élections reflète le climat social d’une époque.
Il ressort aussi de cette étude que les votes administratifs sont moins suivis que les votes à caractère politique.
A cette période, les conditions de vote pour les élections : députés, conseillers municipaux… nous semblent surprenantes.
Pas d’inscription préalable obligatoire. Pas d’isoloir non plus qui n’apparaît qu’en 1913. Le bulletin de vote est un simple papier plié, déposé sans enveloppe…pas très secret !
On vote alors à Châteauneuf dans la tour sud du pont Henri IV, à la caserne, à l’asile (accueil d’enfants en bas âge). Plus tard seulement, on verra s’ouvrir l’école maternelle, l’école de garçons puis l’école de filles. La participation aux élections est fluctuante. Elle croît ou décroît au rythme des embauches ou des licenciements de la manufacture d’armes dont le rôle social est important. Au moment de la commande russe en 1894, environ 5 000 ouvriers travaillent à la Manu, mais comme tous n’habitent pas à Châteauneuf, malgré des variations, le nombre d’électeurs reste plus ou moins stable. Par contre, lors de licenciements, lorsque le travail manque, ce qui correspond à des périodes de crise, on constate que les ouvriers se démobilisent. Si l’on compare la participation de la ville, rive droite et de la rive gauche, la participation est plus faible à Châteauneuf où les habitants sont plus souvent dans des situations précaires que la population bourgeoise de Châtellerault. Lors des élections municipales de 1888, alors que les élus en place sont des notables républicains, trois listes se présentent : des républicains, des conservateurs catholiques et des socialistes. On observe alors une forte participation de la rive gauche qui restera mobilisée jusqu’à l’élection de Clément Krebs. Ce qui confirme que la politique intéresse et amène les électeurs ouvriers à voter plus facilement.
Après cette très sérieuse étude, nous écoutons Françoise Metzger aborder le dernier sujet de cette conférence en trois parties. Un sujet très attendu, car elle va nous parler de la fameuse rue des Buttes dont la réputation est parvenue jusqu’à nous ! Au XVIIe siècle déjà, il est question de cette rue pas très bien fréquentée… Les recherches qui portent surtout sur le XIXe et le début des années 1900 font apparaître environ 400 habitants, plus ou moins démunis, vivant dans des logements précaires, insalubres et souvent sans travail…. Cette rue a alors la réputation d’être « mal famée » voire d’être « un coupe-gorge » ! Elle est le siège de la fameuse « compagnie du soleil » qui se déplace dans des voiturettes tirées par des chiens ! Un grand merci est adressé au passage à notre photographe Arambourou dont les clichés ont fixé et amené jusqu’à nous ces attelages et leurs conducteurs.
Mais de quoi vivent ces gens ? Il semble qu’ils récupèrent des objets de toutes sortes pour les revendre…le ramassage des peaux de lapins faisant également partie de leurs activités. En 1882, les voiturettes tirées par des chiens n’ont plus le droit de circuler dans les rues. Il faudra plusieurs interdictions de la municipalité et des verbalisations pour supprimer ces voitures du paysage… Les journaux et des extraits de jugements du tribunal parlent bien sûr des habitants de la rue des Buttes que les juges considèrent comme des « chenapans ». Motifs d’inculpations : utilisation illicite de charrettes à chiens, ivresse, injures à agents, délit de pêche par exemple… Le Bureau de Bienfaisance intervient au début du XXe siècle, proposant un apprentissage aux désoeuvrés. Si dans cette rue la mixité sociale n’existe pas… on note parmi les résidents une solidarité intergénérationnelle importante.
Lors d’un recensement en 1870, on trouve quelques vieux métiers : un tisserand, un coutelier, un vannier… un coquassier (marchand d’œufs) mais aussi un vagabond. Un peu plus tard, en 1901, apparaissent un ébéniste, un cultivateur, un distillateur et beaucoup de journaliers et de journalières. Quant aux retraites, elles sont si faibles ou inexistantes que très longtemps, tous sont obligés de faire des « petits boulots », dirions-nous, pour survivre.
Malgré toutes les recherches entreprises, beaucoup de questions restent sans réponse, mais la quête continue : documents et témoignages sont les bienvenus. Dans la salle, le public réagit, une personne propose des photos et un ancien habitant de la rue d’Avaucourt (la rue fut rebaptisée en 1921) vient évoquer des souvenirs au micro !
Châteauneuf, toujours et encore à l’honneur depuis bientôt trois ans intéresse les Châtelleraudais grâce aux conférences et aux revues où chacun peut se replonger dans l’histoire locale.
Cette caricature humoristique d’ Ernest Génault (né à Châteauneuf en 1867) est extraite de l’Almanach châtelleraudais de 1910, p. 25, coll. J-F Millet.
Jacqueline Gagnaire