A propos de… « La mobilisation de la manufacture en 1914-1918 »
Ce samedi 25 janvier, personne n’est encore arrivé, salle du Verger, pour assister à la conférence de 16 h… mais l’effervescence règne au sein de l’équipe du CCHA qui prépare, en plus des espaces habituels, dix panneaux destinés à accrocher des journaux d’archives relatant l’Histoire de la Grande Guerre 14-18. Monsieur Garnier, ce collectionneur qui a la gentillesse de nous faire partager sa passion, installe le déroulé historique des événements à travers la presse nationale, depuis l’attentat de Sarajevo, jusqu’en 1916. Les autres journaux de 1917 et 1918 seront exposés lors de la prochaine conférence. Illustrations et photographies ne manquent pas d’attirer les premiers visiteurs. Tout le monde lit, commente et s’agglutine au pied de ces feuilles jaunies par le temps.
Mais l’heure passe, la salle se remplit, il est 16 h.
Une centaine de personnes attendent les conférenciers : Marie-Claude Albert et Pierre Bugnet, co-auteurs, avec David Hamelin et Patrick Mortal, d’un récent ouvrage sur la manufacture d’armes de Châtellerault et qui vont nous parler aujourd’hui de « la Manu pendant la Première Guerre mondiale ».
La présidente, Claudine Pauly, les présente, puis enchaîne avec la souscription du Bordeaux-Paris, notre prochain hors-série. Elle annonce ensuite le nouveau thème de nos recherches : la guerre 1914-1918… invitant les gens présents à participer en nous communiquant des documents de cette époque. Un album photo nous est déjà parvenu et Françoise Laurent, une adhérente, montre un mouchoir dit d’ « instruction militaire » ayant appartenu à un soldat de la Grande Guerre. Ce souvenir lui a été confié par monsieur Bussereau, 102 ans, neveu du soldat. Claudine Pauly remercie Francis Garnier pour son exposition de journaux qui se poursuivra lors de la prochaine conférence le 15 mars.
C’est Pierre Bugnet qui prend la parole en premier pour nous parler de la production de la manufacture en cette période de guerre.
En 1914, la manufacture est une usine très importante qui n’utilise pas à plein son potentiel. Sa production est très diversifiée : armes d’épaule, mitrailleuses, éléments de pièces d’artillerie, voiturettes, boites à poudre, etc. Pendant la guerre, la production est à peu près la même, seules les quantités varient. La Manu se développe alors hors les murs, sur le site de la Brelandière et les effectifs augmentent… des hommes civils, mais aussi des femmes, des militaires et des étrangers. On passe de 1400 employés à 7000. On embauche des jeunes pas encore appelés, des réformés et des hommes plus âgés. Des mobilisés sont également détachés de leur corps et environ 3700 militaires viendront travailler à la Manu. Beaucoup, n’étant pas formés aux professions requises, occuperont des postes non qualifiés. Ils sont souvent mal perçus par la population et passent pour des embusqués… L’Armée récupère après 1915 une partie des affectés spéciaux (lois Dalbiez et Mourier).
Marie-Claude Albert prend le relais en abordant le problème de la main d’œuvre qui va temporairement remplacer les ouvriers partant au front. Entre 1915 et 1917 les effectifs féminins, inexistants à l’origine, vont passer de 115 à 1578. Ces femmes sont manœuvres, mais en 1916 des formations leur sont proposées pour se spécialiser et devenir limeuses, meuleuses ou affûteuses. Fin 1918, après l’armistice, on assiste à un licenciement massif de femmes. Peu d’informations sont données sur les causes réelles de cette action, mais il semble que la présence de femmes dans cet environnement d’hommes pose quelques problèmes… On voit la direction rédiger une circulaire définissant nettement le statut des femmes à la Manu. Leur travail reste basique, elles sont souvent usineuses ou visiteuses, ne font pas de travaux de force, sont séparées des hommes et sont moins payées que leurs collègues masculins. On leur reproche des petites choses comme de « flâner» ou d’être absentes de nuit… Elles encourent des sanctions qui peuvent aller de l’avertissement à l’exclusion !
Mais des avancées positives apparaissent à la fin de la guerre, peut-être grâce justement à la présence des femmes dans l’établissement… Des structures sociales nouvelles sont mises en place : une chambre d’allaitement, une garderie, les conseils d’une sage-femme.
Pour pallier le ravitaillement difficile, toujours à la fin de la guerre, on ouvre une cantine coopérative (située dans les locaux de la Rosée du Matin) ainsi qu’une boucherie coopérative.
On aborde ensuite le sujet de la main d’œuvre étrangère. Quelques Kabyles, au nombre de 70, sont embauchés au début de la guerre, puis sont remplacés par des Chinois. En 1916, recrutés dans le cadre d’une convention avec le gouvernement chinois, ils sont là pour 3 ans. Un roulement s’établit et environ 330 Chinois viennent travailler en temps que manœuvres. Isolés de la population châtelleraudaise, ils vivent dans les baraquements d’un camp à la Brelandière et sont soumis à un contrôle particulier.
Autres étrangers venus travailler à la Manu : les Belges. Ces réfugiés, surtout des femmes, arrivent massivement au début de la guerre. Mais en 1915, la Manu accueille un nouveau contingent de Belges, cette fois-ci ce sont des spécialistes, des armuriers.
Les conditions de travail sont pénibles. Le travail se fait par équipes de jour et de nuit, les horaires sont lourds, les semaines de 70 heures, l’établissement fonctionne la nuit, mais aussi les dimanches et jours fériés. Quant aux salaires, s’ils ont été augmentés pendant la guerre, on note que le coût de la vie a été multiplié par quatre pendant cette période…
En conclusion, on peut dire que des avancées sociales, tardives peut-être, sont intervenues, que de nombreux militaires ont été affectés à l’établissement, que des femmes ont été embauchées et que grâce à la mobilité de la main d’œuvre, la Manu a pu faire face aux demandes que réclamait la gravité de la situation.
Et c’est avec beaucoup de curiosité et d’intérêt que des questions sont posées à la fin de la conférence par la salle…. Il était question de la Manu, l’établissement le plus cher aux Châtelleraudais, un établissement devenu historique, chargé de souvenirs et de nostalgie.
Jacqueline Gagnaire