Les grands hommes de la ligne acadienne

Le 18 septembre 2010, à Archigny, Claudine Pauly et Jacqueline Gagnaire, membres du CCHA, présentaient une conférence sur les grands hommes de la ligne acadienne : le marquis Pérusse des Cars et le comte de Blossac.

LE MARQUIS DE PERUSSE DES CARS ET LE COMTE DE BLOSSAC

DEUX GRANDS HOMMES DE LA LIGNE ACADIENNE

  • La ferme acadienne n° 6 à Archigny, rénovée par les bâtiments de France à partir de 2003 et inaugurée en 2005, a été construite en 1773. Elle présente la particularité de pouvoir accueillir, dans une pièce spacieuse, ancienne grange ajoutée à la ferme au XIXe siècle, des animations et des conférences.
  • À l’occasion des journées du patrimoine, l’association Les Cousins Acadiens du Poitou a invité deux conférencières connues pour leurs recherches et leurs écrits sur le marquis de Pérusse, Claudine Pauly et Jacqueline Gagnaire, membres du CCHA.
  • Un diaporama sur les lieux fréquentés par les deux grands hommes et une permutation des commentaires entre les deux conférencières font de cette intervention un grand moment d’Histoire. Un public attentif et curieux a prolongé l’exposé par des questions et des échanges.

La Ligne Acadienne

  • Ce lieu est également appelé la Grand’ Ligne. En 1772, l’arrivée des colons acadiens nécessitant des hébergements, le marquis de Pérusse des Cars fit construire, de chaque côté de ce qui était à l’époque un chemin charretier, des fermes regroupées en villages. Actuellement, une route rectiligne de 7 kilomètres, nommée la Ligne Acadienne, remplace le chemin. Les fermes, en ruine ou rénovées sont toujours là, vestiges de la vie de ces Acadiens à la vie mouvementée et dont la Ligne est un lieu de mémoire.

 

Le marquis de Pérusse des Cars

  • Né à Paris en 1724, issu d’une vieille noblesse limousine, Louis Nicolas de Pérusse des Cars entre à 9 ans comme porte-drapeaux dans l’armée, il y fait une brillante carrière, devenant colonel et possédant en Westphalie un régiment qui porte son nom.
  • En 1750 il épouse une riche héritière vendéenne, Jeanne Marie Victoire de la Hette d’Artaguiette d’Yron qui lui donne trois enfants : Louis, qui décède à l’âge de 10 ans et est enterré dans l’église de Monthoiron, François qui, comme son père fait une brillante carrière militaire, et Emilie née 10 ans plus tard.
  • Le marquis s’installe en 1756 à Monthoiron et partage son temps entre l’armée et ses terres poitevines. En 1760, grièvement blessé lors de la bataille de Klosterkamp il est sauvé in extremis mais conserve des séquelles de ses blessures.
  • Une autre vie l’attend alors à Monthoiron, son domaine rural poitevin, où il peut appliquer ses idées issues de la physiocratie du siècle des Lumières. Il devient, comme il aime à le dire « seigneur-laboureur ».
  •  Nicolas de Pérusse des Cars est un homme très entreprenant et, malgré des finances au plus bas, il achète en 1763 le château de Targé qui domine Châtellerault dont il dit avoir « l’amourance ». Il ajoute à ses titres celui de « chevalier seigneur de Targé ». Les travaux engagés pour les rénovations ne seront ni terminés ni payés à la Révolution. En 1771 il achète le duché de Châtellerault, possédant ainsi le château qu’il n’habite pas, et devenant le dernier « duc de Châtellerault », tous les titres étant abolis à la Révolution.
  • Le gouvernement, ayant eu connaissance de son expérience conduite avec des agriculteurs allemands, lui propose, en 1772, d’accueillir sur ses terres des Acadiens. Ces derniers, chassés d’Acadie par les Anglais, errent dans les villes situées sur les côtes atlantiques depuis des années. Il accepte ce qui devient l’affaire acadienne développée dans un paragraphe suivant.
  • Les événements de 1789 approchent. En 1787 le marquis est élu président de l’Assemblée d’Election chargée d’organiser lesdits « Etats ».
  • En 1789, élu délégué de la noblesse mais, fatigué, il refuse la charge. Au second vote, son fils François devient alors le délégué de la noblesse aux Etats Généraux à Paris en 1789.
  • On peut noter, qu’au cours de la Révolution, les propriétés du marquis n’ont été ni détériorées ni détruites.  Doit-on cet état de fait au respect qu’il avait pour le peuple paysan ?
  • Dans cette période troublée il règle ses affaires. En 1791 monsieur de Pérusse quitte la France et, fidèle à ses idées royalistes, rejoint son régiment, dont il est toujours colonel, et l’armée des Princes en Allemagne. Exilé, il meurt à Paderborn en 1795.
  • Entre 1792 et 1796, les propriétés de Monthoiron, Targé et Châtellerault sont vendues comme biens nationaux. Ses enfants, François et Emilie, rachètent plus tard celles de Monthoiron et de Targé.

Le comte de Blossac

  • Paul Esprit Marie de la Bourdonnaye, chevalier, comte de Blossac, marquis de Tymeur, est né en 1716 à Goven, près de Rennes en Bretagne.
  • En 1740 il épouse Madeleine Louise Le Peltier, fille d’un conseiller d’Etat qui lui donne quatre, six ou huit enfants… les sources divergeant sur ces chiffres !
  • Paul Esprit Marie est nommé intendant du Poitou en 1751 et représente donc le roi dans cette région. Il est de santé fragile et d’un naturel plutôt timide, et, malgré ce caractère plutôt timoré, est le meilleur intendant que le Poitou ait connu. Il refuse une très belle promotion à Lyon, préférant rester  à Poitiers où il se plaît énormément.
  •  « Mon horreur du changement et l’attachement pour une province où je suis presque naturalisé, la proximité de la Bretagne m’ont déterminé à rester à Poitiers ».
  • Le Poitou lui doit de grandes oeuvres dont les travaux débutent en 1752 : défrichement des brandes nombreuses dans notre région, acclimatation du mûrier et du vers à soie, travaux d’assèchement dans le marais poitevin, embellissement de nombreuses villes. Châtellerault, notamment, a subi une restructuration importante avec la création d’une esplanade,  d’un champ de foire et de la route royale, actuel boulevard Blossac, remplaçant la rue Bourbon jusqu’alors route principale. Toutes ces entreprises, nécessitant une main d’oeuvre importante, donnent, pendant de longues années, de l’ouvrage aux ouvriers pauvres.
  • Son épouse, âgée de 42 ans, décède en 1764, son fils en 1767. On peut penser que le comte de Blossac trouve une autre compagne puisqu’il écrit à son ami Pérusse le 21 octobre 1782 : « Ma femme infiniment sensible à votre souvenir me charge de mille choses honnêtes pour vous. Elle va incessamment me rendre père, ce qui lui cause quelques incommodités peu inquiétantes ». Mais, au cours de nos recherches, nous n’avons jamais trouvé trace d’un second mariage.
  • En 1783, il achète la seigneurie de Puygareau qui, lors de la révolution, est vendue comme bien national.
  • Chassé de son château de Blossac, pillé en 1790 par les révolutionnaires, il émigre à Bruxelles, puis revient en France en 1792 où, en cette période perturbée, il connaît de graves ennuis. Arrêté le 3 Thermidor An II (21 juillet 1794), il est conduit à la Conciergerie le 6, puis à la maison d’arrêt de Plessis le 13. Sous l’impulsion de la réaction de Thermidor, il est libéré le 19 Vendémiaire An III (30 septembre 1794). Le comte retourne alors vivre à Rouen et ne réintègre son château de Blossac qu’en 1797, à la levée du séquestre sur ses biens.
  • Il achève sa vie en 1800 dans cette demeure familiale, laissant le souvenir d’un homme aimable et bienveillant qui accomplit sa fonction avec conscience et distinction.

Une affaire de brandes

  • L’établissement de la colonie allemande
  •  Ces deux hommes, que rien ne semblait devoir rassembler, se trouvent liés dès 1762. À cette époque la culture en Poitou est très rudimentaire, on cultive à la main avec un arau de bois sur des terres difficiles couvertes de brandes. Le marquis voyage souvent en Allemagne pour y visiter son régiment et aller en cure pour soulager les douleurs dues à sa blessure de guerre. Il  y admire les terres riches et bien cultivées grâce à du matériel inconnu dans notre pays.
  • Il pense alors sérieusement à faire venir à Monthoiron des agriculteurs allemands capables de mettre ses terres de brandes en valeur. Ses projets en cours, il cherche une aide financière et s’adresse au comte de Blossac, alors intendant à Poitiers. Le 3 septembre 1762, ce dernier lui écrit : « Je vois avec grand plaisir que vous êtes en train de travailler à votre projet. J’en désire très fort le succès qui pourra donner de l’émulation dans notre province […] vous ne doutez pas que je sois d’avis de favoriser le plus qu’il sera possible un pareil établissement et d’accorder à vos colons allemands les privilèges que l’on a accordés à d’autres ».
  • Le comte de Blossac apporte donc au marquis de Pérusse une aide importante pour l’établissement de cette colonie allemande dont les premières familles, choisies par le marquis de Pérusse, arrivent dès 1763. D’autres, attirées par le bon accueil réservé, arrivent sans être attendus. Les cultivateurs allemands apportent leur savoir-faire, le matériel innovant (charrue de fer et cheval) et sont aidés par des ouvriers capables de fabriquer et d’entretenir le matériel. Ils enseignent ces méthodes de travail à la population locale.
  • Les Allemands restent environ 10 ans et repartent, laissant derrière eux quelques familles qui font souche sur les terres de la seigneurie.
  • L’établissement de la colonie acadienne
  •  En 1772, le Conseil du Roi décide d’installer tous les Acadiens séjournant dans les ports français, après leur déportation, sur un établissement agricole à créer qui serait entièrement financé par l’Etat. Ayant eu vent de l’installation des Allemands à Monthoiron, le ministre de l’agriculture Bertin pense à Pérusse pour cette nouvelle tentative d’intégration.
  • Le marquis, physiocrate comme nous l’avons vu précédemment, accepte d’établir mille cinq cent Acadiens sur ses terres. Le défrichage permettrait de développer l’agriculture sur ses terres pauvres recouvertes de brandes.
  • Monsieur de Blossac, intendant du Poitou, serait chargé, au nom du Roi, de veiller au bon fonctionnement de cette entreprise.
  • Les deux hommes, qui se connaissent depuis 1762, s’apprécient et se lient d’amitié.
  • En novembre 1772, le comte de Blossac, réfléchissant aux conditions de travail difficile proposées au Acadiens, s’inquiète : « Ce sont des gens accoutumés à une terre qui, avec peu de travail, produit beaucoup. Sont-ils bien propres à cultiver des terres très médiocres et à défricher des brandes ? Des hommes accoutumés à lutter contre des terrains stériles ou peu fertiles vaudraient peut-être mieux ».
  • Tout se précipite. L’arrivée des Acadiens commence en octobre 1773 et se termine en juin 1774. Les habitations n’étant pas terminées, on les loge à Châtellerault, dans le faubourg de Châteauneuf où environ mille d’entre eux resteront pendant plus de deux ans, puis en plusieurs lieux du village d’Archigny comme le château de Marsugeau et l’abbaye de l’Etoile.
  • Mais, comme le présageait le comte de Blossac, les Acadiens ne sont guère aptes au défrichement des brandes. Au lieu d’hommes forts arrivent des veuves, des vieillards et des enfants.
  • En janvier 1774, quinze habitations seulement sont terminées. En juillet 1775 les 57 fermes nécessaires sont achevées. De grands espaces de terres sont défrichés.
  • Pendant l’hiver 1774-1775, les Acadiens sont fatigués par le dur travail et la disette de 1174, et mécontents car les titres de propriété qui leur avaient été promis ne sont pas délivrés. Un perturbateur nommé Le Blanc incite ses compatriotes à repartir vers l’Espagne ou la Louisiane.  Rien ne va plus et la colonie est en révolte.
  • En septembre de la même année, Turgot donne l’ordre d’évacuer tous ceux qui le désirent, surtout le dénommé Le Blanc. Pour Blossac, désappointé, et Pérusse, épuisé, le soulagement se mêle à la déception.
  • Le comte de Blossac écrit à son ami : « Monsieur, il sera en vérité heureux pour vous d’être débarrassé de la foule des Acadiens que vous n’aviez pas plus demandés que moi et dont il ne devait venir que les laboureurs. Il viendra un temps où ils regretteront d’avoir quitté des gens qui ne leur voulaient que du bien. Tant pis pour eux, nous n’avons rien à nous reprocher ».
  • Comme pour les Allemands, quelques familles acadiennes restent sur les terres du marquis et font souche. Pour leurs descendants, dont plusieurs représentants vivent encore sur notre région, le marquis de Pérusse est « homme de référence, de courage et d’humanité ».

Une amitié sincère et épistolaire

  •  Madame de Pérusse ayant perdu son fils Louis quelques mois auparavant, le comte de Blossac adresse au marquis cette lettre, datée du 23 juin 1764 :
  • « J’apprends avec grand plaisir la meilleure santé de madame de Pérusse et le bon effet du lait. J’espère qu’elle en sera de plus en plus contente. Je vous prie de l’assurer de mon respect très humble. Personne plus que moi ne s’intéresse à tout ce qui vous regarde l’un et l’autre ».
  • Puis, cette lettre écrite après 1784, le comte résidant alors à Soissons :
  • « les marques de bonté que vous m’avez données ne s’effaceront jamais de ma mémoire et l’un de mes désirs les plus vifs sera d’obtenir la continuation de votre amitié ».
  •  C’est avec cette dernière lettre que semblent s’achever les relations entre M. de Pérusse et M.de Blossac. (Voir Le marquis de Pérusse des Cars, un seigneur en Poitou au siècle des Lumières, J. Gagnaire et C.Pauly, éditions Monthoiron Patrimoine, 2004).
  • Texte de Françoise Glain.

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