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La fileuse
- Fileuse ! L’ombre est tiède et bleuâtre. Une abeille
- Bourdonne sourdement dans le jour qui s’endort,
- Et ton rouet se mêle à cette rumeur d’or
- Ailé qui peu à peu s’engourdit et sommeille.
- Il est tard. C’est le soir. Le raisin à la treille
- Pend et sa grappe est mûre à l’essaim qui la mord
- Mais, pour la vendanger demain, il faut encor,
- Avant que vienne l’aube et que le coq s’éveille,
- Que j’aie en cette argile obéissante et douce
- Arrondi de la paume et façonné du pouce
- Cette amphore qui s’enfle entre mes mains obscures,
- Tandis que mon labeur écoute autour de lui
- Ton rouet imiter de son rauque murmure
- Quelque guêpe invisible éparse dans la nuit.
Henri de Régnier
Les médailles d’argile, Société du Mercure de France, 1900.
La chanson du rouet
- O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Je vous aime mieux que l’or et l’argent !
Vous me donnez tout, lait, beurre et farine,
Et le gai logis, et le vêtement.
Je vous aime mieux que l’or et l’argent,
O mon cher rouet, ma blanche bobine ! - O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Vous chantez dès l’aube avec les oiseaux ;
Eté comme hiver, chanvre ou laine fine,
Par vous, jusqu’au soir, charge les fuseaux
Vous chantez dès l’aube avec les oiseaux,
O mon cher rouet, ma blanche bobine.
O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Vous me filerez mon suaire étroit,
Quand, près de mourir et courbant l’échine.
Je ferai mon lit éternel et froid.
Vous me filerez mon suaire étroit,
O mon cher rouet, ma blanche bobine !
L’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée
L’aïeule s’assoupit un peu ; c’est le moment,
L’enfant vient par derrière, et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie
Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie
La belle laine d’or que le safran jaunit,
Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.
Victor Hugo