La ligne de démarcation dans la Vienne

Le 19 octobre 2019, une nouvelle fois,  le CCHA a organisé un forum délocalisé dans une commune du « Grand Châtellerault ». A Archigny, en présence du maire de la commune, la conférence a été faite en duo : Christian Richard, maire et président du musée de la seconde Guerre Mondiale de Tercé, a présenté la ligne de démarcation dans le département de la Vienne et Françoise Glain, membre du CCHA et présidente de l’association Histoire et Patrimoine d’Archigny, a centré ses interventions sur la ligne de démarcation à Archigny, une des communes les plus étendues de la Vienne.  

La ligne de démarcation, frontière imposée par les Allemands dès le 22 juin 1940, coupe la France en deux : la ZO, zone occupée par les Allemands, concentre l’industrie et les grandes cultures, la ZNO, zone non occupée, gouvernée par le Maréchal Pétain. Longue de 1 200 km, la ligne traverse 13 départements dont la Vienne. Là, elle se déploie sur 80 km entre Leugny et Chatain ; 18 communes sont coupées en deux. Cette frontière intérieure est un moyen de pression sur le gouvernement de Vichy, une restriction à la circulation des personnes et des marchandises, une source de tracasseries administratives.

source ONA

            Le tracé, la matérialisation et l’organisation de la ligne

La Demarkationlinie se met en place après l’armistice ; le tracé (en vert sur la carte annexée à la convention d’armistice d’où son nom de ligne verte) est fixé à 20 km de la ligne ferroviaire Paris-Hendaye. Au début les consignes sont floues, plusieurs modifications de trajet sont faites, pratiquement toujours à la demande de l’occupant, pour améliorer les surveillances de la zone. Sur le terrain, l’administration des Ponts et Chaussées, sous contrôle des Allemands, plantent les poteaux en bois tous les 100 à 150 mètres ; les couleurs de leur drapeau (noir, rouge, blanc) sont peintes à l’extrémité. Les postes de contrôle permanents allemands se trouvent aux croisements de la ligne avec les routes principales ; des guérites, baraques, mâts orné du drapeau allemand, chevaux de frise, barrières sont installés aux carrefours et aux ponts. Une bande large de 500 à 1 000 mètres est gelée. Des postes de contrôle français leur font face. Les soldats de la Wehrmacht contrôlent les passages jusqu’en octobre 1941, remplacés ensuite par des douaniers, car à cette date le front russe mobilise l’essentiel des troupes allemandes.

Un commissariat est créé en zone libre à Montmorillon. La gendarmerie refusant de s’intégrer au dispositif de sécurité, l’armée d’armistice de Vichy -100 000 hommes- contrôle les points de passage français ; ils sont ensuite remplacés par les douaniers refoulés des ports de l’Atlantique par les Allemands.

Aujourd’hui, il ne reste, comme signes visibles, un à Saint-Martin l’Ars et une baraque à Leugny. Mais nous disposons de clichés, malgré l’interdiction de photographier des soldats allemands, et les témoignages des acteurs de cette période. 

De nombreux incidents émaillent la vie de la ligne, traque et tirs de fugitifs, intrusions inopinées dans les fermes, fouilles de maisons, arrestations arbitraires par les militaires allemands. Des relations se nouent parfois avec les soldats chargés de la surveillance de la ligne : Guesdon, militaire du 27 RI, aide l’agriculteur dont il reprendra la ferme à la fin de la guerre. Un douanier épousera une jeune fille du lieu.

arrestations à PLEUMARTIN (AD86)

            Les franchissements autorisés de la ligne de démarcation

                        Pour franchir la ligne de démarcation, les Allemands mettent en place des laissez-passer, les Ausweis : verts pour les agriculteurs, blancs ou blancs barrés de verts pour les ouvriers agricoles , blancs pour les frontaliers, pour ceux qui vivent dans une zone de 10 km de part et d’autre de la ligne, blancs barrés vert pour ceux de la ZNO. Les écoliers en ont un. Les non-frontaliers, après avoir fait une demande ausweis, doivent obligatoirement passer par l’un des 14 postes des 1 200 km de la ligne (2 dans la Vienne à Jardres et Lhommaizé).

            A Archigny,

Les 5 barrières délimitant la zone occupée et la zone libre se trouvent, à La Guérivière (ensuite ramenée à la Gorlière, au sud-ouest, route de Chauvigny), à La Brachetterie (ensuite déplacée à la Philbartière, au sud), à la Prêterie se retrouve à la Croix-de-Justice, à l’est route de La Puye, aux Bouchaux au nord, au croisement de la Croix Jolines au sud-est. Cette barrière est ajoutée lorsque les Allemands s’aperçoivent qu’il est aisé de rejoindre la zone libre par ce chemin. Une autre se situe aux Faguets, entre Archigny et Pleumartin.

            Les franchissements clandestins de la ligne

Les candidats au passage sont nombreux, ceux qui fuient la police allemande, ceux qui veulent rejoindre la France libre : aviateurs dont l’avion a été abattu, prisonniers de guerre français évadés (dont des coloniaux prisonniers à Saint-Ustre), résistants, évacués mosellans, réfugiés, étrangers, juifs …

Ils passent entre les points de contrôle, évitant ainsi les patrouilles de l’armée allemande, franchissent la ligne par la Creuse et la Vienne, par les chemins vicinaux, guidés par des passeurs. A l’exception de quelques individus intéressés par l’appât du gain, la plupart des passeurs sont des « frontaliers », solidaires de leurs compatriotes ou des étrangers persécutés, résistant à l’occupant. Ce sont souvent des paysans cultivant des terres dans les deux zones. Les prêtres participent à l’hébergement et au périple de clandestins.

Deux témoignages

Maïté Gaitaner pianiste suisse, réfugiée à Bonnes à 17 ans, repaire des itinéraires hors de la vue des soldats allemands et fait traverser la Vienne en barque à des évadés français. Résistante, elle est arrêtée, déportée, torturée par la Gestapo et revient handicapée à vie.

Robert Schuman, évacué mosellan en 1939/1940 à Poitiers, est arrêté par les Allemands en avril 1941, s’évade en juillet 1942. De retour en Poitou, il est hébergé à l’abbaye de Ligugé, son exfiltration est organisé par les religieux, après une étape à Gizay chez l’abbé Decourt, il franchit la ligne à Chiré-les-Bois.

Les voyageurs des trains sont contrôlés en gare de Fleuré.

 Courrier postal

Une ordonnance allemande du 18 juillet 1940 interdit toute correspondance postale entre les deux zones. Les cartes postales pré-imprimées éditées par Vichy sont contrôlées…

Claudette à la Guilleterrie

Alice Sarrazin recevait régulièrement du courrier à faire passer en zone libre. Sa nièce, Claudette Savigny passait la barrière à la Croix de Justice chaque jour, matin et soir, pour aller et revenir de l’école du bourg. Elle rendait quotidiennement visite à sa tante. A l’âge de 11 ans, et pendant plus d’une année, elle a transporté des courriers dans ses chaussettes, son guidon de vélo ou ses cahiers. Elle les remettait à son père qui les transmettait ou savait quand des clandestins ou aviateurs arriveraient à la ferme pour être hébergés la nuit. Claudette prêtait alors son lit et dormait dans la grange. Au petit matin son père attelait la jument à la charrette et emmenait ses passagers à la gare de Paizay-le-sec. Plusieurs fois, Claudette a dû ouvrir son sac d’école lors du passage à la barrière, les livres et cahiers vérifiés. Heureusement, ces jours-là, aucun document n’y était glissé.

Puis un jour, le facteur a prévenu sa tante Alice : tu devrais faire attention, tu reçois beaucoup de courrier. Dès lors, la jeune Claudette ne passa plus de messages. La transmission prit une autre voie. Plus tard, Alice fera son possible pour aider les juifs mosellans lors de la rafle du 31 janvier 1944, aidée de son frère Vincent Savigny et du boucher Camille Ribreau. Claudette a aujourd’hui 91 ans et transcrit ses souvenirs, surtout ceux de la Grande Guerre dont lui parlait son père.

Les Allemands envahissent la zone libre en novembre 1941, les postes de contrôle français sont démantelés dans les semaines suivantes. La ligne de démarcation disparait sur le terrain le 1er mars 1943. Les passeurs ont droit à la reconnaissance de l’Etat français après la guerre.

15 panneaux d’exposition du Musée de Tercé ont été présentés ce samedi 23 octobre dans la salle de la ferme acadienne n°6. Les participants ont écouté le témoignage de Claudette Savigny. D’autres témoignages figurent, par ailleurs, dans les ouvrages consacrés à la ligne de démarcation dans la Vienne, de Christian RICHARD (paru en 2017) et de Claude FARIZY (paru en 2007), dans un chapitre de la monographie de Françoise GLAIN « Souvenirs d’Archigny 1939-1945 ».

A propos admin

Association fondée en 1999, le C. C. H. A. vise à la découverte, la sauvegarde et la promotion du patrimoine documentaire du Pays châtelleraudais.
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