Les tisserands de Saint-Rémy-sur-Creuse du XVIIe au XIXe siècle

Le soleil printanier n’a pas dissuadé les nombreux auditeurs venus ce samedi 23 mars 2019, dans la salle du Verger ; le conférencier, Guy Fréval, professeur agrégé d’histoire-géographie au lycée Marcelin Berthelot de Châtellerault, les a emmenés pour un voyage dans le temps et dans l’espace, à Saint-Rémy-sur-Creuse, sur les confins est de la Vienne, à deux pas de la Touraine. Des tisserands du chanvre y ont vécu dans les caves troglodytiques creusées dans la falaise qui surplombe la vallée de la Creuse. Ce lieu a étonné en son temps Le Touzé de Longuemar

(1803-1881), un passionné darchéologie, de géographie et de géologie qui fonda à Poitiers la Société des Antiquaires de l’Ouest et que cite Guy Fréval : il évoque dans ses Pérégrinations d’un touriste sur la limite de trois provinces, une étrange bourgade, une ruche renversée. Bien que remontant à 1856, sa description de l’habitat est toujours d’actualité comme en témoignent les cartes postales anciennes et – mieux encore – une visite du site à découvrir avec l’association Ethnicité. Quant aux occupants, qualifiés de pauvres familles, parias de Saint-Rémy avec une certaine condescendance par Longuemar, Guy Fréval est parti à leur recherche dans les rares documents où ils sont nommés : les registres paroissiaux qui les désignent comme tisserands, filtoupiers, cardeurs, puis les registres d’état civil, les recensements (le premier date de 1836), les archives notariales. La généalogie de deux familles, Champion et Bernard, permet aussi de sortir de l’anonymat ces humbles artisans.

La région – au sens large – est au 17e siècle grosse productrice de chanvre ; cette fibre a de multiples emplois : draps, torchons, et pour la navigation, cordages, voiles … Les tisserands sont déjà nombreux au 17e siècle : 52 hommes, auxquels il faut ajouter les femmes qui filent et cousent. À l’apogée, au 18e siècle,  ils sont 90 pour une population totale de 900 personnes. Saint-Rémy verra par la suite le nombre de ses habitants décliner régulièrement. Les produits du tissage sont destinés à la consommation locale ou vendus au marché le plus proche, La Haye, qui n’est qu’à trois kilomètres.

La proximité de la rivière permet le rouissage du chanvre, opération qui peut aussi se faire dans des « routoirs », bassins creusés à cet effet, ce qui évite la pollution du cours d’eau. La fibre trempe pendant 10 jours, dégageant une odeur forte. Bien que très modestes, les habitations troglodytiques ont deux avantages : elles conservent une température stable lors des périodes de grands froids et leur degré d’hygrométrie permet le filage du chanvre dans de bonnes conditions. Le statut des tisserands est moins précaire que celui des journaliers, et quand il y a ascension sociale, elle reste très modeste.

Le recensement de 1836 dénombre 35 tisserands qui disparaissent ensuite au cours du 19e siècle. Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ce déclin : la concurrence de l’industrie textile mécanisée, la recherche de conditions de vie moins rudes, l’exode rural qui touche en ce siècle de révolution industrielle, les deux groupes les plus modestes, journaliers et tisserands. Même si l’on tient compte de l’installation de tuileries, Saint-Rémy offre peu d’emplois, en revanche, il s’en crée à Descartes où la papeterie est en plein essor ; dans la cité ouvrière construite pour la main d’œuvre, les conditions de vie sont bien meilleures que dans les caves troglodytiques qui ont abrité des générations de tisserands disparus définitivement de Saint-Rémy-sur-Creuse.

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