La construction du pont

Plan de Châtellerault sur Vienne

Le plus long pont de France avant la construction du pont d’Avignon, le pont plus large que le pont neuf à Paris

  • Châtellerault, est sur l’axe France-Espagne et le franchissement de la rivière Vienne a toujours été un problème crucial. Dès le XIe siècle les hommes construisent, à l’emplacement d’un gué, un pont sur lequel était fixé un moulin. Il traverse la Vienne obliquement, de la rue des Moulins au Grand Monarque. Ce pont souffre de l’incursion des Bretons de Duguesclin qui veulent reprendre le Poitou devenu anglais après la défaite de Jean le Bon et il est remplacé, à la fin du XIVe siècle, par un pont de bois installé sur les anciennes piles. Les plus belles forêts des environs sont abattues pour les restaurations successives du pont. Il tombe en ruine quand l’inondation de 1556 l’emporte. On a recours au bac et aux passeurs.
  • Henri II demande une reconstruction en pierre, mais le roi décède en 1559 et il faut attendre 1564 pour avoir une lettre patente de la veuve d’Henri II, Catherine de Médicis, confirmant la décision du feu roi.

Vue cavalière de Châtellerault au XVIIe siècle d’Ernest Godard

  • La ville est entourée de remparts défensifs (2 km) et d’un fossé de 8 m de large. Des portes et des poternes permettent d’entrer dans la cité et d’en sortir. Arrivant du sud, on traverse le faubourg de Châteauneuf, on franchit la rivière par le pont, on emprunte la rue Sully en face, on longe l’église Saint-Jacques, on tourne à gauche à la hauteur la Grand’Rue (rue Bourbon) et on continue jusqu’à la porte Sainte-Catherine.
  • En 1565, on choisit la pierre de la carrière de Damassault (Bonneuil-Matours) pour la construction des fondations (2 à 3 000 quartiers de 2,60m X 1 m X 0,165 m et 3 000 quartiers plus petits qui seront voiturés par eau jusqu’au port du Batardeau, nécessitant un passage dans l’écluse de Chitré). Les pierres des parties immergées viennent des carrières d’Antoigné, pierres tendres de tuf ou tuffeau (calcaire crétacé) faciles à travailler.
  • Les travaux ne commencent que dix ans plus tard (guerres, finances) et en mars 1576 on arrive aux fondations des piles faites sans mise à sec des fosses, ce qui entraînera des fissures constatées en 1785 (Ingénieur Barbier).
  • En 1594 il reste à faire les voûtes des 4 arches côté Châteauneuf.
  • Le 2 janvier 1599 une crue emporte une arche de pierre située près du pontenage, côté ville. On comble la brèche de 16 m avec des tréteaux de bois. Un document récemment acquis par les AMC dit qu’en 1602, il reste 3 arches à construire. Le pont est ouvert à la circulation en 1609, mais le corps de logis qui relie les deux tours n’est réalisé qu’en 1611. On l’appelle pont Sully (gouverneur du Poitou depuis 1603). C’est sous la seconde République qu’on l’appellera pont Henri IV.

Plaque sur la tour sud du pont

Le pont mesure 144 m de long, sur 21 m de large (un peu plus large rive gauche). Erreur de construction ? Il se compose de 9 arches de 9,85 m d’ouverture, voûtées en anse de panier, dont la flèche augmente à partir de chaque rive jusqu’à l’arche centrale, plus haute pour le passage des chalands. Les culées sont adossées de chaque côté à des salles souterraines, elles n’ont que 2 m d’épaisseur.

Architecture du pont

Les 8 piles mesurent 4, 60 m d’épaisseur (1/2 largeur des arches) et reposent sur le roc par l’intermédiaire de gradins dont le nombre varie. Au dessus des arches, d’élégantes consoles (organes en saillie) très rapprochées soutiennent une corniche (moulures en surplomb couronnant un entablement) large de 1, 16 m dont la tablette à l’origine était horizontale. Le projet primitif comportait des mesures défensives : des chambres souterraines aux deux extrémités du pont auxquelles sont adossées les culées (appui d’extrémité).

Côté Chateauneuf, petit pont permettant de franchir le fossé. Dessin de Blanchet

Rive gauche, les travaux de défense sont plus importants. Le pavillon central a 23,60 m de large et 6, 66 m d’épaisseur. La douve est large de 8 m. Côté faubourg, un petit pont en tuf de trois arches permet de franchir ce fossé défensif qui relie les tours.

  • L’extrémité côté ville comporte à l’origine une porte gardée par deux tours de plan carré, réunies par un mur de deux mètres d’épaisseur dans lequel est percée une porte faisant face à celle de la ville, ouverte dans les anciens remparts au bas de la rue des Cordeliers (Orillard, Glaneur 1939). Un voyageur traversant le Poitou en 1638 est émerveillé par l’inscription en lettres d’or sur table de marbre qui se répétait côté ville et côté de la rivière (BSAO, t9, 2e série, années 1901-1903. Deux voyageurs en Poitou au XVIIe s : Dubuisson-Aubenay et Léon Godefroy). (BSAO, Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest).
  • La hauteur de ces tours jamais terminées ne dépasse pas quatre mètres. On y installe une porte de bois qui en 1636 est déjà « rompue par le milieu » et doit être réparée AD86, 1J67). Vers l’amont, un mur en forme de quai fait face au vieux mur à mâchicoulis des anciens remparts bordant le couvent des Cordeliers. En 1685, les tours carrées à demi ruinées subsistent encore. Mais elles gênent la circulation et sont abattues en 1790. Les chambres souterraines sont vendues, on y laissé bâtir une maison à droite et une à gauche du pont, rive droite.

Le pont en ruine ou presque

Coupe du pont réalisé en 1785

  • En 1777, l’ingénieur Barbier dresse un état du pont, les réparations sont urgentes, on passe par Limoges pour aller à Bordeaux. Le pont est dangereux, et n’est pas éclairé le soir : plusieurs personnes tombent à l’eau et se noient car le parapet est détruit aux 3/4 (7 accidents en 10 ans, Livre de Raison, p. 67).
  • Les pancartes de péages sont installées en 1746. L’adjudicataire des péages logeait dans une petite maison accolée au pont côté Chf, elle sera démolie en 1787.
  • Ainsi, le 20 décembre 1771, un habitant de la ville a été précipité du pont dans les bateaux où il s’est « froissé » et en est mort. Le 17 décembre 1784, on déplore un nouvel accident. En attendant les réparations deux lanternes sont installées, une à chaque extrémité du pont, qui seront allumées toutes les fois que la lune ne luira pas. (AMC, Délibérations)
  • Pour la sécurité on dresse 2 garde-fous en bois tenus par 56 poteaux de chêne vieux de 2 à 3 ans. La face des bois est peinte à l’huile en ocre rouge (AD86 Cs 121).
  • Les trottoirs « ne sont d’aucune utilité et ne tendent qu’à la destruction du pont en ce qu’ils servent de latrines à tout le bas peuple » (AD86 Cs 114).
  • La sortie du pont qui rejoint le faubourg est dangereuse, avec une pente supérieure à 5 %. Ce petit pont est en ruine, il faut le refaire avec une seule arche et 9 maisons sont à supprimer. En réalité, en 1785, on démolit les trois arches et on remblaie pour former un passage solide entre deux murs de soutènement.

 Une arche remplace les trois côté Châteauneuf dans le projet

  • En 1785, on répare les soubassements et pieds droits des piles, les culées ainsi que des voussoirs. On adjoint aux piles d’arrière des avant-becs, qui s’arrêtent au départ des voûtes, on évide les arches au moyen de cornes de vaches (terme d’architecture, voûte en cône tronqué).
  • L’entretien du pont doit être fait par le seigneur engagiste du duché de Cht. En 1770, le marquis de Pérusse des Cars succède au prince de Talmont mais visiblement il achète le duché pour en tirer revenu et non pour y faire réparation.

Des modifications

Dessin de Mme Martinet, fille de Creuzé La Touche

  • A la Révolution, on opère quelques modifications. La municipalité ordonne en décembre 1792 d’ôter les fleurs de lys et autres signes de l’Ancien Régime (AMC, 1D2). Le plomb provenant des armoiries et des différentes figures qui étaient sur les tours du pont sera vendu au plus offrant et permettra de payer les ouvriers qui les ont enlevées et de répondre aux besoins urgents de la municipalité : achat de balles.

Neuf maisons à supprimer Plan d’alignement côté Châteauneuf 1845

  • Dès 1777 la suppression du corps de logis est envisagée, la porte étant trop étroite. Ce corps de logis fut abattu en 1824 et a bien failli entraîner dans sa chute les tours du pont.
  • Le rapport des Ponts et Chaussées, daté du 30 juin 1822 dit :
  • « Les deux tours…ne sont point un ornement du pont…elles contribuent au contraire à en déparer les abords ». Elles furent construites pour flanquer l’ancienne porte où l’on apercevait encore les ouvertures qui servaient à la herse. Construites uniquement pour servir à la défense, elles ont perdu toute leur utilité…Elles peuvent être détruites sans inconvénient.
  • Mais la ville de Châtellerault ne veut pas se séparer des tours du bon roi Henri, elle propose de les acheter pour une somme de 15OO F (ordonnance royale du 2 juillet 1823). Elle étale le paiement sur 5 ans.

 Des réparations plus importantes

  •  Il faut attendre 1825 pour assister à une remise en forme du pont. Il est tellement dégradé que 4 arches menacent de s’écrouler, il faut faire vite car les nombreux charrois affectés à la construction de la Manufacture royale mettent sa vie en péril. Les travaux commencés en 1826 dureront 4 ans et coûteront plus cher que prévu. Et puis le pont est oublié jusque vers le milieu du XXe siècle où diverses réparations seront encore nécessaires.

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Association fondée en 1999, le C. C. H. A. vise à la découverte, la sauvegarde et la promotion du patrimoine documentaire du Pays châtelleraudais.
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